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02 août 2006

Absence-présence, épisode 5

... Encore quelques mois seulement et nous seront réunis à jamais. J’arriverai avec tout mon amour intact. Je t’aime et t’embrasse tendrement...
Ces derniers mots me firent prendre la décision. Dès le lendemain, je m’en occuperais. Attendre plus longtemps ne pouvait plus se concevoir sainement. Incapable de trouver le sommeil, j’entrepris d’écrire ce que je n’avais pu écrire les jours précédents, et je passai une bonne partie de la nuit à l’avancement du manuscrit resté en plan depuis bientôt trois semaines. Dehors l’univers feutré de la neige avait fait son apparition en fin de soirée, et contribuait à m’envelopper dans l’espèce de cocon protecteur que cette décision avait engendré. L’excitation me fit tenir jusqu’au petit matin, et je m’écroulai enfin, repue et satisfaite, alors que l’aube pointait.

 

Je me réveillai avec le goût amer et âcre d’une mauvaise nuit dans la bouche. L’hôtesse s’approchait de ma rangée, et j’allais pouvoir secouer la somnolence persistante qui m’habitait. L’odeur mêlée de mauvais café et de chaleur humaine qui assaillait mes narines n’eurent que peu d’effets sur l’enthousiasme de mon esprit imaginant le bonheur enfin retrouvé de cette journée et des suivantes. Je m’étais endormie tard, longtemps après le dernier repas offert gracieusement par Air France. J’avais suivi par bribes le navet cinématographique servi en pâture aux insomniaques de tous poils, habitués ou non des vols longs courriers à destination des lointains pays outre-mer. J’avais surtout remué dans mon esprit, encore une fois, les divers atermoiements et renversements de situation que la vie m’avait amenés. De nouveau, je me trouvai à une charnière. Serait-ce la dernière ? Par le hublot, j’apercevais tout en bas les remous de l’onde, dans l’immensité de l’océan que je ne pensais pourtant pas revoir de sitôt. Je revenais, tant pis pour les conséquences, d’ailleurs pas si importantes que cela. Les raisons professionnelles qui m’avait fait rejoindre la métropole n’étaient finalement rien en comparaison de la nécessité impérative de VIVRE. Je criai presque intérieurement ce dernier mot, envahie par une joie incontrôlable, un contentement indéfinissable, après la décision folle que j’avais prise de revenir. J’effectuais donc un retour vers la terre où avait été retenue ma moitié. Quels imbéciles avions nous faits de s’imaginer que nous allions surmonter allégrement 9 mois de séparation...

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31 juillet 2006

Absence-Présence, épisode 4

La journée du lendemain se déroula sans bruit. Sans fausse note, et sans piment. Journée fade entre un ciel gris et une terre brune alourdie du liquide déversé pendant la nuit. L’intermède que je m’accordais en fin de matinée me permit néanmoins de m’échapper de ma torpeur nouvelle. La marche parmi les sentiers du bord de mer me remplissait de plaisir et de bien-être...

Champs et mer. Étendues végétale et liquide à l’interface mouvante. Lent travail de l’océan tentant de conquérir cette terre féconde qui depuis des siècles avait toujours tenu ses engagements vis à vis de l’homme avide de richesse.Surface aux nuances célestes, tantôt arborant le saphir étincelant, tantôt prolongeant le gris des ardoises du littoral. Surface aux profondeurs insondables, offrant ses richesses aux pêcheurs, largesses et générosité pouvant se métamorphoser en colères engloutissant embarcations et occupants.
Mer féroce, champs féconds.

La délivrance de cette envolée sur le clavier de mon ordinateur me ragaillardit quelque peu au retour de ma tournée tonifiante. Mais je retombai très vite. Incapable de lorgner l’avenir, ni même le passé. J’étais dans un présent glauque et difforme, infini, plat, terne, insipide. Le coup de téléphone de Marie, ma vieille amie de toujours, dans la soirée, ne changea rien à la morosité de l’hébétude qui étreignait mes pensées. Et la soirée s’effilocha dans la même torpeur que la matinée...
La sonnerie du fax ne me laissa pas le loisir de m’enfoncer dans un sommeil plus de recours que réparateur. Les mots sonnaient, limpides et beaux, dans leurs couleurs tintinnabulantes. Je revivais, Je ressentais de nouveau les fibres de mon être s’étirer et s’assouplir. Tout accablement s’envolait en un instant. Le gris du ciel laissait la place à la nitescence de la pleine lune. Le noir de la nuit s’émerveillait brutalement de la myriade d’astres qui enguirlandait le firmament. Le bleu des rideaux apportait de nouveau la douceur à mon oeil aveuglé. Comment avoir pu oublier le bonheur de vivre? Je ne comprenais pas pourquoi j’avais pu m’enfoncer dans un tel abîme, alors que toute la vérité de mon bonheur se rappelait à moi dans ces quelques lignes ayant traversé les quelques milliers de kilomètres qui me séparaient de lui. Je pris un stylo et jetai le flux irréductible de mes pensées sur le papier. Trois pages déversant ce que je n’avais pas osé lui raconter auparavant de peur de lui faire mal. Trois pages me permettant de me retrouver enfin, de sortir de la léthargie dangereuse dans laquelle je m’étais laissée noyer. Les mots venaient sans difficulté, faisant s’écouler sur la feuille le torrent de mes pérégrinations mentales. Quand je m’arrêtai, essoufflée, l’ivresse de vivre avait repris possession de moi. Je me ruai sans plus réfléchir vers l’appareil noir salvateur et envoyai les trois pages. La réponse ne se fit pas beaucoup attendre. Quelques mots seulement, quelques mots qui voulaient me rassurer sur l’effet produit, compréhensifs, partageant la douleur du mal-être, mais criant aussi l’absurdité de l’éloignement. Cruel non-sens de l’absence-présence.
 

29 juillet 2006

Absence-Présence, épisode 3

Le crépuscule s’annonçait déjà quand je levai les yeux, pleine de ce que j’avais lu et dégusté. Les mots s’enchaînaient encore dans ma tête, égrenant la variété des sentiments humains au long de pages miroitantes de folie et de paix, de colère et de beauté, de dénuement et d’avidité, de bêtise et d’humilité. Chants des arbres, beauté bleutée des cours d’eau auxquels s’abreuvent les êtres vivants, paradoxes de l’âme humaine, détour de tourments, bonheur perdu au prix de l’avilissement, hommes et femmes pas plus dotés d’une âme que les animaux, mort partie intégrante et raison d’être de la vie... J’étais toute retournée par la poésie des phrases, l’odeur des lettres, la saveur des descriptions. Comme à chaque texte de cet auteur, j’en ressortais avec l’impression de mieux comprendre enfin le monde humain qui nous entoure. Et cette sensation s’accompagnait d’une sérénité et d’une paix me permettant de me regarder autrement. Le feu dans l’âtre se mourait, je ressentis le frisson de la fraîcheur s’infiltrant dans les interstices de ma peau en même temps que je décidai d’alimenter d’une bûche le foyer. J’envisageai soudainement les choses d’une manière bien différente. Je considérai les décisions prises comme saugrenues, alors même que cela faisait plusieurs semaines que je croyais suivre un chemin tout tracé, de retour vers ce que j’aimais, après les affres de l’éloignement faussement rassurant. Tout à coup, c’est comme si la lucidité de l’absurdité d’un tel raisonnement pointait sa lance acérée,  vrillant avec insistance le taraud du doute dans le coeur même de mes certitudes. J’étais ébranlée sur toute ma base, la sérénité faisait place à la plus tourmentée des tempêtes. Le poids qui commençait à m’alourdir l’estomac était le reflet du combat intérieur qui se livrait, combat dont les tenants et aboutissants, les rounds et les incertitudes, échappaient en grande partie à ma pleine conscience. Cela dura une bonne demi-heure, qui me laissa groggy, te un boxeur ayant dû souffrir les assauts répétés d’un adversaire déchaîné. Mon esprit tentait de se relever, énumérant les meurtrissures invisibles, qui laissaient derrière elles la trace de leur passage sous la forme trompeuse de l’abattement.
 
J’étais maintenant incapable de penser correctement. Me réchauffer les restes de la veille, me restaurer frugalement avant d’aller me coucher furent les seules activités auxquelles je fus capables de m’adonner, en dehors de ma correspondance quotidienne indispensable par fax, qui, je m’en rendais compte tout particulièrement aujourd’hui, était le fil qui me maintenait la tête hors de l’eau...
 

27 juillet 2006

Absence-Présence, épisode 2

... J’y étais revenue, sans l’avoir décidé vraiment. Je m’étais d’abord attachée à remeubler les différentes pièces, en apportant un minimum de confort et d’arrangement intérieur, combinant les objets et meubles neufs parmi les éléments ayant fait le voyage. Les deux commodes de style anglais avaient repris leur place abandonnée, et ne manifestaient rien d’autre que l’aisance d’une vie paisible. Jamais on n’aurait cru qu’elles avaient parcouru quelques milliers de kilomètres. Elles siégeaient de part et d’autre de la table rectangulaire en bois massif qui semblait prête à accueillir des convives venus goûter à la joie des moments de retrouvailles du passé. Des visions fugitives surgissaient. Réminiscences âcres par la joie pâle ressentie à travers le filtre du temps. De la même acuité fade que les photos jaunies, les bibelots, les livres ressortis des cartons et rangés les jours précédents. Le silence se peuplait des cris d’enfants, la solitude disparaissait sous les souvenirs des soirée passées autour de la cheminée accueillante irradiant sa chaleur à la communication entre les hommes, le noir du café dans la tasse se métamorphosait en une myriade de couleurs chatoyantes et enthousiastes. Je me revoyais, jeune mère de famille, à l’aube d’une vie heureuse bâtie sur les solides bases de pierre, à l’instar de notre demeure remise sur pied à partir de murs en ruines sur l’emplacement d’une vieille ferme délaissée. Je me revoyais, pleine des illusions enflammées gardées d’une jeunesse encore fraîche et militante, prête à transmettre à mes enfants, et avec l’aide de celui que je considérais comme mon complice de toujours, inébranlable, ce que je tenais comme les vérités de la vie, le bonheur de savoir manier les ficelles emmêlées de la société moderne dans laquelle j’étais née, de façon à ne pas être la marionnette que tant de gens devenaient. Je pensais être à l’abri, invincible, affrontant l’avenir, surmontant les diverses adversités ultérieures sans vergogne, d’autant plus faciles à franchir qu’elles ne pouvaient être dans mon esprit que matérielles et donc dérisoires. Un frisson me parcourut, reflétant la dichotomie de mon être quand il superposait deux épisodes éloignés sur le chemin qui était le mien.
 
Je me secouai. Ce n’était pas dans mon habitude de me laisser aller trop longtemps à l’apitoiement sur moi-même. Ces moments étaient certes nécessaires, et je le savais, mais il ne fallait pas que cela devienne une rengaine m’empêchant d’aller de l’avant. Heureusement le sommeil m’était revenu, brutalement, du jour au lendemain, ou plutôt d’une nuit sur l’autre. Les tourments ne me volaient plus ces heures précieuses de repos nocturne qui m’avaient tant fait défaut, même à coup de tranquillisants et somnifères divers. L’insomnie avait été remplacée par ces brusques irruptions du passé pendant la journée, m’amenant des réflexions teintées de nostalgie et de révolte, d’acidité et de douceur, mêlant les contrastes les plus divers si particuliers à la singularité du retour sur soi-même.
 
Je m’installai dans le canapé faisant face à la cheminée, et je m’attaquai à la lecture de l’ouvrage que j’avais décidé de terminer...
 

25 juillet 2006

Absence-Présence, épisode 1

Nouvelle en 6 épisodes, pour les vacances bien méritées, ou pour ceux qui n'ont pas la chance de prendre un peu de large...

 

L’après-midi avait été consacrée à la lecture. Lecture-refuge. Le fond de mes pensées était trop tumultueux pour y voir clair. La succession des événements depuis ces dernières semaines n’avait dévoilé son importance dans mon esprit que brutalement. La vérité qui en était sortie imperceptiblement était tellement crue qu’elle avait d’abord été camouflée par les divers faux soucis que j’avais l’habitude de me trouver habituellement. Je me levai de ma chaise, me dirigeai vers la cuisine, et me servis un deuxième café. La lumière tamisée qui filtrait par la fenêtre était remplie de gaieté. Gaieté bleue du ciel breton entre deux averses, gaieté chargée de la lumière suave d’un soleil paresseux mais généreux, gaieté nue des arbres d’hiver n’ayant plus de feuillage à offrir aux caresses de la brise. Le noir du liquide fumant se para d’une guirlande ardoisée. Un rayon de soleil avait su se frayer un chemin entre le tronc du hêtre siégeant majestueusement devant l’ouverture et le voilage de coton finement dentelé ornant les vitrages. Hachure blanche sur le noir tissage de l’existence. Cassure éblouissante sur le fond calme apparent des abysses de l’âme. Je me sentais de nouveau envahie par une impression bizarre, prenant tout mon être dans une espèce de ouate transparente. Comme si tout mon corps était sous l’effet d’une substance engourdissante. Sensation étrange, à la fois désagréable par un malaise ressemblant à la peur de l’inconnu, et à la fois enivrante par la léthargie engendrée.

Comme si cet endroit voulait me retenir. Maintenant que j’y étais revenue. La demeure avait eu la patience de m’attendre, guettant les moindres signes dans le frémissement de l’onde sur la surface du Trieux en contrebas, dans les mouvements du côté de la ville au loin, dans les passages sur la petite route vicinale qui longeait le mur nord-ouest. Même si elle avait dû subir la présence de locataires ennuyeux ou peu soucieux de la charge sentimentale des pierres. Même si les années que l’on pouvait mesurer à la croissance progressive des différentes essences peuplant le jardin ne comptaient que peu à son échelle...